Le 11 novembre à Berlin : mémoire ou fête traditionnelle ?
Le 11 novembre à Berlin : mémoire ou fête traditionnelle ? https://i0.wp.com/berlinlikealocal.com/wp-content/uploads/2024/11/des-enfants-marchent-dans-la-nuit-de-dos-en-portant-2.png?fit=890%2C668&ssl=1 890 668 Bianca Bianca https://secure.gravatar.com/avatar/9886d55819b2a3f1401487e48e523994?s=96&d=mm&r=g- Bianca
- pas de commentaires
Les participants à nos visites guidées privées en français de Berlin nous demandent souvent si le 11 novembre est un jour férié à Berlin. La réponse est à la fois courte et complexe. C’est donc un très bon sujet d’article !
Un jour férié ?
Pour faire court : non, le 11 novembre n’est pas férié en Allemagne. C’est pourtant le cas en France et en Belgique, où l’on célèbre l’armistice de 1918, soit la fin de la Première Guerre mondiale et la paix qui en découle.
À onze heures, le onzième jour du onzième mois de l’an 1918, le cessez-le-feu met fin à 4 ans d’une guerre meurtrière ; plus de 18 millions de personnes sont mortes et 21 millions de personnes ont été blessées.
Dans de nombreuses villes des pays francophones, les cérémonies rendent hommage aux soldats tombés et aux anciens combattants, héros de la nation. Les symboles de patriotisme occupent une place centrale dans ces commémorations.
Pourquoi pas en Allemagne ?
Ici, le 11 novembre n’a pas la même portée commémorative. Même si cette date marque également la fin des combats du côté allemand (qui déplore près de 2 millions de morts), la signature de l’armistice signifie aussi sa défaite.
Celle-ci survient alors que le pays est en pleine révolution : le 9 novembre 1919 marque la chute de l’Empire allemand ; s’en suit une période de violences, de crise économique, de famine et de profonds bouleversements politiques. Le traité de Versailles du 28 juin 1919 et ses sanctions contribuent à l’effondrement militaire, financier et moral du pays.
Une partie de la population allemande perçoit alors l’armistice du 11 novembre 1918 et le traité de Versailles comme des décisions injustes et humiliantes. Dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale, cette vision alimente le ressentiment nationaliste et le désir de revanche. Cela prend la forme de la théorie du “coup de poignard dans le dos” (Dolchstoßlegende) propagée par les nazis, selon laquelle l’armée allemande, invaincue sur le champ de bataille, aurait été trahie par les civils issus des partis de gauche et les juifs.
Des commémorations discrètes
L’Allemagne privilégie une « culture de la mémoire » (Erinnerungskultur) orientée vers la réconciliation et la réflexion. À Berlin, cette date est évoquée de manière sporadique et discrète dans le cadre de conférences, d’expositions ou de discussions sur les leçons de l’histoire, comme parfois au Musée de l’Histoire allemande (actuellement en travaux).
Malgré tout, le 11 novembre ne résonne pas dans la conscience collective allemande comme elle le fait en France et beaucoup ignorent même à quel événement cette date renvoie. Sans doute préfère-t-on taire les défaites pour mieux célébrer les événements heureux.
Car deux jours plus tôt, le 9 novembre marque une date autrement significative pour les Allemands : la chute du mur de Berlin en 1989 (voir notre article à ce sujet). Ce symbole de liberté et de réunification attire bien plus l’attention médiatique et il suscite un élan de festivités qui contribuent à éclipser le 11 novembre.
Une fête populaire traditionnelle
Si vous êtes à Berlin un 11 novembre en soirée, vous verrez peut-être des groupes de jeunes enfants défiler dans les rues avec des lampions à la main qu’ils ont fabriqués eux-mêmes. Si vous vous approchez, vous les entendrez chanter des chansons traditionnelles, et si vous avez de la chance, un poney mènera le cortège, accompagné bien entendu de parents qui veillent à l’atmosphère joyeuse et bienveillante de l’événement.
Ils célèbrent la Saint-Martin (Martinstag), qui est une fête populaire dans plusieurs pays d’Europe, notamment aux Pays-Bas, en Suisse ou en Espagne.
Elle rend hommage à Saint Martin de Tours, un soldat romain né en l’an 316. Alors qu’il traverse Tours à cheval, il passe devant un mendiant frigorifié. Touché par la condition du pauvre homme, Saint-Martin sort son épée et coupe son manteau en deux pour lui en donner la moitié. La nuit, le mendiant lui apparaît en rêve et se révèle être Jésus. Martin se fait alors baptiser. Il devint plus tard évêque et est canonisé après sa mort le 11 novembre 397 après JC.
Lors des parades de lampions, les participants se remémorent cette histoire qui leur enseigne la gentillesse et la compassion. Cependant, le reste des célébrations varient selon les régions. Pour certains, la parade se termine autour d’un feu ; ailleurs, les enfants reçoivent des petits pains en forme d’oie ou dînent en famille autour d’une oie rôtie.
J’étais à Bonn il y a quelques jours, et j’y ai découvert une spécialité que je n’ai jamais vue à Berlin : la brioche de Saint-Martin. Ce gâteau de pâte levée est décoré de raisins secs ou de chocolat pour les boutons et les yeux, et une petite pipe en terre cuite y est glissée.
Ils l’appellent le Weckmann. Ce pain se trouve aussi dans d’autres parties de l’Allemagne et son nom varie selon les régions : Stutenkerl, Puhmann, Hefemann, Kiepenkerl… On le trouve également en Alsace (Mannele ou Mannala), au Luxembourg (Boxemännchen) et en Suisse (Grittibänz ou Grättimaa). Il est mangé pour la Saint-Martin ou pour la Saint-Nicolas, le mois prochain.
Le coup d’envoi du carnaval
Si la tradition joyeuse de la Saint-Martin contraste avec la solennité des commémorations françaises du 11 novembre 1918, l’écart est encore plus fort en Rhénanie, comme à Cologne ou à Düsseldorf.
Le 11 novembre marque le début officiel de la saison du carnaval, qui commence précisément le 11.11 à 11h11. Cette date est l’occasion de festivités colorées qui deviendront encore plus exubérantes en février.
À Berlin, où le carnaval n’est pas vraiment célébré, quelques rares associations et bars de la capitale organisent des soirées costumées, mais la fête reste discrète. Certaines chaînes de télévision diffusent des programmes spéciaux pour faire partager aux Berlinois l’effervescence du carnaval qui se prépare dans l’ouest du pays.
Pour ceux qui choisiront de passer leur soirée du lundi 11 novembre 2024 à se balader dans les rues de Berlin, sachez que la ville sera calme, avec une température de 5 degrés, et que le soleil se couchera à 16h19.
Dans l’atmosphère morose de l’hiver qui s’installe, vous apprécierez peut-être de voir les lanternes s’approcher et d’entendre les enfants chanter. À l’ombre de l’histoire, espérons que les valeurs d’empathie et de partage célébrées par cette fête éclairent un avenir plus généreux et solidaire.
Vous souhaitez en savoir plus ? Nos visites guidées en français du Berlin Classique, de Berlin Est ou du Mur de Berlin vous aideront à comprendre la perspective allemande sur notre histoire commune.
Pour en savoir plus sur la Saint Martin :
- Un épisode de Karambolage (émission d’Arte) sur la célébration
- Deux chansons que vous entendrez les enfants chanter (et que mes amis berlinois n’arrivent pas à se sortir de la tête une fois qu’ils croisent une parade de lampion !) :
* Ich gehe mit meiner Laterne
* Laterne, Laterne
Bianca
Born in Paris, France, tour guide in Berlin and musician. And happy to be a part of Berlin like a local!
Tous les articles par : Bianca